Port-au-Prince : la ville-fourmilière

Article : Port-au-Prince : la ville-fourmilière
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13 juin 2017

Port-au-Prince : la ville-fourmilière

Fondée le 13 juin 1749 par les colons français, au Bel-air, Port-au-Prince devait accueillir au départ 200 000 habitants. Aujourd’hui, la ville en compte 3 millions. À la fois capitale politique et économique du pays, la commune la plus peuplée d’Haïti constitue en quelque sorte un eldorado compte tenu de la centralisation. Par conséquent, vivre à Port-au-Prince génère du stress, marcher dans ses rues engendre une certaine frustration.

Port-au-Prince
Crédit photo : lakayanm

Autrefois, c’était d’une grande fierté pour le citadin de se déclarer Port-au-Princien. La capitale était en quelque sorte notre « Ville lumière ». Ce sont surtout le goût pour les choses de l’esprit et l’éclairage à l’électricité dans toute la ville qui lui ont valu cette considération. Un campagnard qui n’a jamais mis les pieds dans la ville ou qui ne connaît pas ses recoins sera considéré comme quelqu’un qui n’est pas « éclairé ». Cependant, le train de vie à Port-au-Prince est tellement intense que l’humble personnage qu’est le paysan se trouvera comme le rat des champs dans la célèbre fable de La Fontaine.

Port-au-Prince, une ville pressée

Port-au-Prince
Crédit photo : Lionel Bernard

Nombreux sont ceux qui rejoignent la ville dès cinq heures du matin : commerçants, écoliers, travailleurs. La Grand’Rue constitue l’artère principale qui mène au cœur des activités quotidiennes de la capitale. Véritable grenier du pays, on y trouve les principaux marchés servant de lieux d’approvisionnement pour toute la zone métropolitaine. Il suffit de s’y rendre pour prendre le pouls de la vie économique. Si vous aimez discuter de meilleurs prix ou tomber sur la bonne occasion, le rendez-vous vous est donné ! Les rues sont souvent bondées de monde. Entre badauds et « brasseurs de la ville », il faut vous frayer un chemin. Partout, les trottoirs sont occupés par un petit commerce de détail : des vêtements ou des livres d’occasion, des produits de première nécessité, une station de motocyclettes.

Si vous ne n’avez bousculé personne en marchant, c’est que vous n’avez jamais investi les rues de Port-au-Prince. Désolé, vous risquez de ne pas recevoir d’excuses. Et ça, tout le monde le sait. «Pòtoprens se yon peyi kouri li ye».

Port-au-Prince, une ville imprévisible

Chacun essaie de créer son propre espace dans la foule pour ne pas risquer de se faire « fouiller » (subir un pickpocket) ou « freezé » (subir un hold-up), car cela peut arriver à n’importe quel moment, sous le regard impuissant des passants. On préfère parfois marcher sur le pavé au risque de se faire heurter par une motocyclette. Entre bruit, agitation et parfois bousculades, je me demande ce qui est le plus oppressant !

Si vous êtes nonchalant, vous risquez de ne pas remporter cette course contre la montre. Quand le temps est à la pluie, c’est le rush à Port-au-Prince. Quand j’étais gamin, on chantait pour qu’il pleuve, se baigner sous la pluie est l’un de mes plus beaux souvenirs d’enfance. Mais désormais, on prie pour qu’il ne pleuve pas trop, du moins, pour ne pas se retrouver sous la pluie, en pleine rue. Ici, la pluie, c’est le monstre.

Port-au-Prince
Crédit Photo : Valérie Baeriswyl

Aussi, si vous devez vous rendre à l’heure quelque part, prévoyez-le deux heures à l’avance. Mieux vaut arriver une demi-heure plus tôt que d’avoir à courir.

Tout est cause d’embouteillage : un chauffeur qui stationne ou qui tourne mal, une voiture délabrée qui tombe en panne en pleine rue, le service de voirie qui essaie de déblayer ou pire un accident. Autre motif,  une bande de rara ou deux « kokorat » (voyous) qui se battent. Sans parler du fait que les routes sont garnies de nombreux nids de poule.

De la rue Saint-Martin en passant par Sans-Fil, Canapé Vert, Bourdon, Turgeau Pacot, Poste-Marchand, Nazon, Bois-Verna et la « célébrissime » Martissant : toutes ces ramifications de Port-au-Prince sont des lieux réputés pour leur « blocus » (bouchon).

Port-au-Prince a-t-elle raté sa voie?

Après le tremblement de terre meurtrier du 12 janvier 2010, on a pensé que Port-au-Prince allait devenir une capitale digne de ce nom.

Port-au-Prince
Crédit Photo : Marcia Cris Goes Pimpao

Sept ans après le tremblement de terre, on voit toujours des bâtiments endommagés en plein centre-ville sous lesquels des commerçantes viennent chaque jour étaler leurs marchandises. Novembre 2016, une ancienne usine de production de boisson gazeuse, désaffectée depuis des années et fortement endommagée par le séisme de janvier 2010 s’est partiellement effondrée faisant huit victimes. Où en sommes-nous dans la campagne de démolition dans la capitale?

Certains se souviennent de la visite d’agents municipaux chez eux après le séisme. Les maisons en bon état étaient marquées au vert, celles qui méritaient une réparation en jaune et celles qui méritaient d’être démolies en rouge. Quel suivi ?

Me Jean-Henry Céant, notaire public, travaillait pour le traitement de dossiers de l’expropriation au bas de la ville, où 200 hectares ont été déclarés d’utilité publique (sous le gouvernement de René Préval après le séisme de janvier 2010). Dans le cadre du projet de construction de la cité administrative, des expropriations étaient réalisées sur la base de déclaration d’utilité pour la construction de la dite cité. Quelques années plus tard, l’ancien candidat à la présidence, Jean Henry Céant, a été la proie d’intox comme étant l’artisan de la campagne « Kraze Kay » (démolitions de maisons). Certains propriétaires ont été indemnisés, d’autres non. Me Céant a eu l’élégance de remettre officiellement « ses honoraires » aux victimes du dossier d’expropriation au centre-ville. Qui osera s’attaquer à tout le travail qu’il reste à faire ?

Peut-on rêver d’une Port-au-Prince propre?

Je n’étais pas censé parler du problème d’assainissement et d’insalubrité de la ville. Mais, comment ne pas en parler? Pour marcher dans quelques rues, je dois parfois me tremper les pieds dans quelques eaux immondes et esquiver des monticules de déchets. Bref, je n’accuse personne sans pour autant déresponsabiliser les autorités. Tout cela donne haut-le-cœur pas exactement à cause des relents. Ce n’est pas facile de garder une ville propre à fond quand on dispose de seulement trois véhicules et d’un camion compressif pour le ramassage des ordures.

Il faut tout de même reconnaître la volonté du maire, Youri Chevry, de changer l’image de la capitale. Des travaux d’assainissement ont été effectués par la Mairie de Port-au-Prince au Boulevard Harry Truman (La Saline). Le projet d’identification des rues de la Capitale a été lancé et exécuté. Un processus de restructuration a été lancé au sein de l’administration communale qui s’était retrouvée en faillite.

Sécurité, revitalisation de la commune de Port-au-Prince et développement économique sont trois des axes fondamentaux de la politique générale du Conseil municipal de Port-au-Prince.

Aujourd’hui marque 268 années d’histoire de la ville de Port-au-Prince. Puisse le premier citoyen de la ville, mandaté jusqu’en 2020, écrire un nouveau chapitre dans la grande histoire de notre chère ville…

Pour ma part, je profite de cette occasion pour présenter mes vœux à la ville. Notamment, je souhaite qu’il y ait une police municipale. D’une part, pour démanteler les « chèf mache » (chefs de gangs) qui rançonnent tous les jours les « ti machann » (petits commerçants). D’autre part, pour aider à reprendre le contrôle de la ville. Les quelques policiers du Portail Saint-Joseph ne peuvent pas s’adonner à ce travail colossal.

Ma ville, mon image

On aura beau se servir de programmes, de spots télévisés, de campagne de sensibilisation et de slogans comme « Bale Lari », « M’ap bale », « Katye Pa’M pwòp ». Tant que le problème n’est pas résolu en amont, se perpétuera ce que j’appelle « le cycle du fatra ». À noter que ces campagnes de sensibilisation ne sont pas tout à fait vaines car certains quartiers reflètent un certain niveau de propreté grâce à la bonne collaboration de leurs résidents.

Des personnalités de la mode participant à la campagne "M'ap bale" de la SMCRS
© Manuell Photography

Tout le monde se plaint de l’état de la ville. Très peu d’entre nous s’engage à la garder propre. Va dire à quelqu’un de ne pas jeter son sachet ou son bidon en plastique dans la rue. Il te répondra : « Ki kote pou m’ lage l? (Où dois-je le jeter?) »

Notre rapport avec les déchets est un peu spécial. Autrefois, les camionnettes étaient équipées d’une poubelle. Sans doute, parce que des passagers mal intentionnés partent avec, fini les boîtes à ordures dans les tap-taps. Quant aux bennes à ordures, elles ont presque disparu dans les rues. Au moins, même si elles se renversaient, la populace pourrait y jeter ses détritus au lieu de les jeter dans les rues après une pluie quelconque.

Peut-être que je suis trop idéaliste mais je fais partie de cette minorité qui croit que le changement est encore possible. Possible dans la mesure où il y aura une volonté politique forte jusqu’à prendre des décisions impopulaires. Il suffit d’éveiller la conscience citoyenne. Parfois, quand je vois déferler les gens, j’ai l’impression de voir des « zombis » tellement qu’ils sont obnubilés dans le confort de la fétidité. Nous qui sommes de la génération consciente. Agissons comme instigateurs de la révolution mentale haïtienne. Non seulement une autre Haïti est possible mais aussi une autre Port-au-Prince est possible…

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Commentaires

Ritzamarum Zétrenne
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Très bon texte ! Un peu long, mais bon! Ça vaut la peine de le lire ! C'est une bonne radiographie de Port-au-Prince . J'aime surtout la partie où tu présentes P-au-P comme une ville où tout le monde est pressé. J'ai même voulu écrire sur cet aspect. Mais tu m'as devancé !
Bravo !!

Garens Jean-Louis
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Je me suis même surpris à écrire un texte aussi long. Le cas de Port-au-Prince est si alarmant que l'on ne saurait se mettre l'eau à la bouche pour parler de cette ville. Merci bien !