Homophobe, depuis quand l’es-tu Haïti ?
Homophobe se dit d’une personne qui éprouve, qui manifeste de l’aversion, de l’hostilité pour l’homosexualité ou envers les personnes homosexuelles. Et dire que ce terme n’a pas son équivalent en créole haïtien si ce n’est qu’une traduction intralinguale. Ça peut se comprendre puisque nous n’avons jamais été un peuple homophobe.
Je suis de la génération 90. Aussi loin que je me souvienne, Haïti n’a jamais été homophobe quand je grandissais. C’était même un spectacle public quand un masisi (gay en créole haïtien) défilait dans les rues. Entre rires et « fawouch » (plaisanteries taquines), les badauds rentraient dans la danse. Par contre, les personnes non intéressées passaient leur chemin sans y prêter attention. À l’école ou dans le voisinage, on prenait plaisir à regarder l’hommasse jouer au football et au basket-ball ou se livrer à un freestyle. Aujourd’hui, être ouvertement gay en Haïti est un « crime » passible de mort. Etre lesbienne est un « crime » punissable du viol collectif pour pouvoir goûter au plaisir d’être avec un homme.
Le mois de Juin 2017 est consacré « mois de la fierté LGBTI » aux États-Unis. À l’occasion, l’Ambassade des États-Unis d’Amérique en Haïti a exprimé ses souhaits les meilleurs au peuple haïtien. L’organisme gouvernemental a rappelé, je cite : «Selon que vous soyez lesbienne, gay, hétérosexuel, bisexuel, transsexuel ou intersexe, vous êtes d’abord et demeurez un être humain avec des droits inaliénables, dont le droit à la vie, à la liberté et celui de poursuivre vos rêves». Ce n’est qu’une affirmation ! Mais, franchement, le pari est loin d’être gagné.
Selon les chrétiens haïtiens, le tremblement de terre du 12 Janvier 2010 a sonné le glas du jugement dernier. Selon eux, le séisme relève d’un châtiment divin. « Dieu a frappé son pied, disent-ils, pour dire c’en est assez de nos péchés ». Des « prophètes » de malheur en ont même reçu le message en révélation (rêve). Plusieurs marches homophobes venant du secteur protestant ont déjà été organisées. Des appels au meurtre des homosexuels, ont été même lancés, sous le regard indifférent des policiers. Qui oserait lever le petit doigt pour dénoncer l’incitation à la violence?
Et il faut souligner que les policiers encadrant la manifestation chantent les mêmes slogans homophobes #Haiti #mariagepourtous @DDOPNH
— Amélie Baron (@Ameliebaron) 19 juillet 2013
Eh oui ! Légaliser le Mariage Pour Tous en Haïti reviendrait à augmenter nos maux (famine, chômage, misère), selon les protestataires qui ont même évoqué Sodome et Gomorrhe.
À noter que toute cette homophobie a su asseoir le capital politique de l’actuel Sénateur de la République, Jean Rénel Sénatus, qui a participé aux marches en 2013 et qui porté haut la main les sénatoriales dès le premier tour en 2015. Le festival Masimadi, qui devait lancer le débat, n’a pas lieu. Entre-temps, la seule association de défense des droits LGBT de l’île, Kouraj continue d’œuvrer pour les droits de la communauté.
Aux nouvelles de cette semaine, le sénateur Jean Renel Sénatus a boudé une réunion de débat qu’organisait une coalition d’organisation de défense des droits humains dont Kouraj. Le parlementaire a quitté la salle où se tenait la rencontre après avoir remarqué la présence d’un rassemblement d’organisations qui se donnent pour mission de légaliser la vie homosexuelle en Haïti. Le sénateur a donc vidé les lieux : « Les homosexuels n’ont-ils pas des droits ? « Oui. Mais cependant, je sais que ma constitution, l’article 16 de la déclaration universelle des droits humains, le Code Civil dit que c’est une femme et un homme qui peuvent se marier et fonder un foyer ».
Le droit à la différence
Être un élément mâle dans la famille haïtienne représente beaucoup. Je vais vous faire plusieurs aveux. Dans les familles paysannes, si une femme accouche d’un garçon, on lui donnera à manger d’un cabri. Tout ça, pour vous dire, l’importance que revêt le garçon dans l’avenir de la famille.
Un parent haïtien qui a un enfant homosexuel considérera que c’est un « lajan pèdi » (un investissement gâché). Non seulement il risque de ne pas voir la pérennité de la lignée mais aussi l’enfant sera perçu comme un handicap social. Il y a tellement de stéréotypes autour des homosexuels en Haïti. Un homme trop efféminé attirera l’ostracisme. J’ai même découvert un terme dans le jargon homosexuel haïtien pour qualifier les drag queens ou les hommes trop efféminés : « dereyal ».
J’ai entendu toutes sortes de commentaires à l’annonce de Masimadi. Des parents craignaient que leurs fils ne soient corrompus contre de l’argent, qu’ils se fassent draguer par des mecs. Vous ne verrez jamais un couple hétéro haïtien s’embrasser (même pendant une cérémonie de noces, c’est le fou rire). Approuver une telle loi, c’est donner libre champ à la luxure.
En ce qui me concerne, je ne pense pas que les homosexuels haïtiens arrangeraient leurs situations si une telle loi arriverait à passer même dans 25 ans. Car, notre seuil à l’homo-tolérance restera le même. Dans un pays où journalistes engagés, militants politiques se font assassiner sans que justice soit rendue. Je vous garantis que chaque jour le nombre de victimes et de meurtres se feraient enregistrer dans un pays où la pratique du lynchage est de mise.
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